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    Antoon Van Dyck

    Préparatifs du martyre de saint Sébastien

    Notes sur l’état de l’œuvre

    cat3_p01941 : allègement du vernis (Montauban) ; 1953 : allègement du vernis et enlèvement des principaux repeints ; recollage de la toile sur la toile de rentoilage, bord inférieur ; 1975 : allègement du vernis ; 1994 : refixages ponctuels1.

    Historique

    cat3_p11653 : duc de Monterrey, Madrid (?)2 ; 1er juin 1827 : vente Altamira (et autres collections espagnoles), Londres, Stanley, lot 41 ; Daniel Saint, miniaturiste ; 6 mai 1846 : vente Daniel Saint, Paris, lot 232 (737 francs3) ; vers 1865 : Dr Louis La Caze (« salle à côté du salon4 ») ; 1869 : legs La Caze au Louvre ; évacué pendant la Seconde Guerre mondiale (Montauban, et château de Montal) ; 1946 : retour de Montal.

    Bibliographie

    cat3_p2La Caze, 1869 État des tableaux de la collection La Caze, manuscrit de M. La Caze à M. de Maussion, archives des Musées nationaux, 1869. , nº 242 ; Reiset, 1870 Frédéric Reiset, Notice des tableaux légués au Musée impérial du Louvre par M. Louis La Caze, Paris, 1870. , nº 57 ; Guiffrey, 1882 Jules Guiffrey, Antoine Van Dyck. Sa vie et son œuvre, Paris, 1882. , p. 81-82 et nº 215c, p. 252 ; Demonts, 1922 Louis Demonts, Musée national du Louvre. Catalogue des peintures exposées dans les galeries. III. Écoles flamande, hollandaise, allemande et anglaise, Paris, 1922. , nº 1 981, p. 94 ; Glück, 1924 Gustav Glück, The Early Work of Van Dyck, Vienne, 1924. , p. 13 et suiv. ; Glück, 1925-1926 Gustav Glück, « Van Dycks Anfänge. Der Heilige Sebastian im Louvre zu Paris », Zeitschrift für bildende Kunst, vol. 59, Leipzig, 1925-1926, p. 257-264. , p. 260-261 ; Glück, 1931 Gustav Glück, Van Dyck. Des Meisters Gemälde in 571 Abbildungen, Berlin et Stuttgart, coll. « Klassiker der Kunst », 1931. , p. 517-518 ; Glück, 1933 Gustav Glück, Rubens, Van Dyck und ihr Kreis, Vienne, 1933. , p. 275-288 ; Glück, 1937 Gustav Glück, « Van Dyck’s Equestrian Portraits of Charles I », The Burlington Magazine for Connoisseurs, vol. 70, nº 410, Londres, mai 1937, p. 211-217. , p. 211 ; Londres, 1953 Flemish Art 1300-1700 (catalogue d’exposition, Londres, Royal Academy of Arts, 1953-1954), Londres, 1953.  ; Thompson, 1961 Colin Thompson, « X-Rays of a Van Dyck “St Sebastian” », The Burlington Magazine, vol. 103, nº 700, Londres, juillet 1961, p. 318-320.  ; Thompson, 1975 Colin Thompson, « Van Dyck. Variations on the Theme of St Sebastian », National Gallery of Scotland Bulletin, Édimbourg, 1975, p. 1-8.  ; Roy, 1977 Alain Roy (dir.), Le xviie siècle flamand au Louvre. Histoire des collections, Paris, coll. « Les dossiers du département des Peintures, 14 », 1977. , nº 159, p. 41 ; Brigstocke et Thompson, 1978 Hugh Brigstocke et Colin Thompson, National Gallery of Scotland. Shorter Catalogue, Édimbourg, 1978. , p. 31 ; Brejon de Lavergnée, Foucart et Reynaud, 1979 Arnauld Brejon de Lavergnée, Jacques Foucart et Nicole Reynaud, Catalogue sommaire illustré des peintures du musée du Louvre. I. Écoles flamande et hollandaise, Paris, 1979. , p. 53 ; Feigenbaum et Martin, 1979 Gail Feigenbaum et John Rupert Martin, Van Dyck as Religious Artist, Princeton, 1979. , p. 24 ; Larsen, 1980a Erik Larsen, Alle tot nu toe bekende schilderijen van Van Dyck, Rotterdam, coll. « Meesters der Schilderkunst », 1980. , nº 225, p. 100-101 ; McNairn, 1980 Alan McNairn, The Young Van Dyck. 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El Martirio de San Sebastián de El Escorial localizado en la galería Hall & Knight de Nueva York », Goya, nº 316-317, Madrid, janvier-avril 2007, p. 45-50. , p. 46 ; Dubreuil, 2007 Marie-Martine Dubreuil, « La Caze et le commerce de l’art », in Sophie Eloy et Guillaume Faroult (dir.), La Collection La Caze. Chefs-d’œuvre des peintures des xviie et xviiie siècles (catalogue d’exposition, Paris, musée du Louvre, 2007 ; Pau, musée des Beaux-Arts, 2007 ; Londres, The Wallace Collection, 2008), Paris, 2007, p. 68-83. , p. 72 ; Faroult, 2007 Guillaume Faroult (dir.), La Collection La Caze. Chefs-d’œuvre des peintures des xviie et xviiie siècles (catalogue d’exposition, Paris, musée du Louvre, 2007 ; Pau, musée des Beaux-Arts, 2007 ; Londres, The Wallace Collection, 2008), Paris, 2007. , fig. 99, p. 221, et p. 250-251 ; Foucart, 2009 Jacques Foucart, Catalogue des peintures flamandes et hollandaises du musée du Louvre, Paris, 2009. , p. 132 ; Cavalli-Björkman, 2010 Görel Cavalli-Björkman (dir.), Rubens & Van Dyck (catalogue d’exposition, Stockholm, Nationalmuseum, 2010), Stockholm, 2010. , nº 22, p. 136-137 ; Díaz Padrón, 2012a Matías Díaz Padrón, « Un nuevo Van Dyck en la Casa Consistorial de Palma de Mallorca : El Martirio de San Sebastián del Conde de Monterrey », Archivo español de arte, vol. 85, nº 339, Madrid, juillet-septembre 2012, p. 233-250.  ; Lammertse et Vergara, 2012 Friso Lammertse et Alejandro Vergara (dir.), El joven Van Dyck (catalogue d’exposition, Madrid, Museo Nacional del Prado, 2012-2013), Madrid, 2012. , nº 73, p. 280-282 ; Eaker, 2015 Adam Eaker, « Van Dyck between Master and Model », The Art Bulletin, vol. 97, nº 2, New York, juin 2015, p. 173-191. , p. 181 ; Van der Stighelen, 2017 Katlijne Van der Stighelen, « Paternal Love. Van Dyck’s early “Daedalus and Icarus” rediscovered », The Burlington Magazine, vol. 159, nº 1 367, Londres, février 2017, p. 99-108. , fig. 22, p. 103 et 106.

    1cat3_p3Une des toutes premières peintures d’histoire exécutées par Van Dyck, peinte dans le style âpre des débuts de la carrière. Le tableau offre une étude sur le vif d’un nu masculin.

    Peinture de Van Dyck représentant un homme nu, debout, avec un tissu autour de la taille.
    Fig. 3-1 Antoon Van Dyck, Nu masculin, vers 1615-1618, huile sur toile, 96,7 × 47,7 cm, Dublin, National Gallery of Ireland, NGI 275. Photo CC BY 4.0 National Gallery of Ireland
    Un homme nu, portant seulement linge blanc à la taille, se détache sur un fond sombre. Il est debout, la jambe droite en avant, a les mains liées dans le dos et penche la tête. Son côté droit se perd dans la pénombre, tandis que son côté gauche est en pleine lumière.

    2cat3_p4Le thème du martyre de saint Sébastien, un légionnaire romain percé de flèches pour sa foi, que la croyance chrétienne place au iiie siècle, revient à de nombreuses reprises dans l’œuvre, dessiné et peint, de Van Dyck5. Les représentations font abstraction du lieu du martyre, le stade de Domitien. On citera, par exemple, une feuille du musée des Beaux-Arts et d’Archéologie de Besançon montrant le saint attaché, droit, mais que ne retiennent déjà plus que ses liens6. Dans une attitude proche, le Nu masculin de Dublin (fig. 3-1) évoque lui aussi le supplice du jeune prétorien, quoique aucune flèche ne soit figurée dans cette toile : Van Dyck y met en scène, artistiquement parlant comme narrativement, l’étape antérieure à celle illustrée par le tableau de Paris7. Un corps, non idéalisé, offert aux regards, dans une attente lourde de sens. Le tableau irlandais est datable vers 1615-1618, soit des tout débuts de la carrière. C’est aussi le cas de celui du Louvre – une datation qui remonte à Max Rooses, confirmée par Gustav Glück8 – et l’on comparera le traitement, déroutant, des visages du personnage dans les deux cas. Même compte tenu du passage du temps (plus de quatre cents ans) et des restaurations, un même rendu rêche se remarque, avec passages fortement enténébrés (le visage du saint du Louvre a conservé les traces de l’ombre dans laquelle l’avait installé Van Dyck). Le regard perdu, émergeant d’une ombre volontairement outrée, est commun aux deux toiles. Un élément d’inquiétante étrangeté paraît recherché par le jeune peintre, qui figure là de manière saisissante les approches de la torture et de la mort.

    3cat3_p5Dans les deux cas, Paris et Dublin, Van Dyck livre une étude anatomique sur le vif, d’après un modèle vivant que l’on perçoit dans sa singularité. Cela mérite de s’y arrêter un instant. À ses débuts, alors qu’il œuvre de manière autonome (mais avec des assistants, tels Juste d’Egmont ou Herman Servaes) dans un atelier personnel sis au Dom Van Ceulen, une maison dans la Lange Minderbroedersstraat, près du couvent franciscain d’Anvers, et alors même qu’il assiste Rubens dans l’atelier de ce dernier, les possibilités de Van Dyck semblent pratiquement illimitées9. C’est le temps des études sur le vif qui s’enchaînent et se combinent. C’est le temps d’une créativité dont les tâtonnements sont en fait des éclairs de génie – une boussole encore sans nord établi, mais qui mène à des ports nouveaux. C’est le temps du modèle vivant10.

    4cat3_p6Plus tard, quand les portraits lui prendront un temps considérable et que l’élégance sera requise, une forme de mise au carreau de l’art de Van Dyck aura lieu. Dès son passage en Italie, son traitement du thème de saint Sébastien martyr devient moins inaccoutumé : le tableau de l’Escorial, des débuts du Flamand sur la péninsule, affiche ainsi une beauté sciemment idéalisée11. Les commanditaires du peintre auront eu raison de son infinie malléabilité artistique… Alors qu’il est âgé de seize à dix-huit ans, Van Dyck – qui peint comme un maître – semble bien avoir été à même de développer différentes veines d’une variété inattendue. Les Préparatifs (M.I. 918) en gardent trace, précisément parce que le saint y a un corps vrai, le corps d’un modèle d’atelier12.

    Peinture de Van Dyck représentant un homme en buste, barbu, les yeux vers le ciel.
    Fig. 3-2 Antoon Van Dyck, Saint Jude Thaddée, vers 1615-1616, huile sur panneau, 63 × 47 cm, Metz, musée de la Cour d’Or – Metz Métropole, M.I. 917. Photo © Laurianne Kieffer – Musée de La Cour d’Or – Eurométropole de Metz
    Saint Jude Thaddée est représenté à mi-corps. Ses épaules occupent toute la largeur de la toile. Son visage, levé vers sa droite, est éclairé par une lumière intense vers laquelle il tourne ses regards tout en entrouvrant légèrement la bouche. Il porte une longue barbe, et des cheveux bruns longs et en désordre. Il est vêtu d’une chemise sombre et a l’épaule recouverte d’un manteau vert foncé. Il tient à la main une équerre en bois.

    5cat3_p7L’anatomie du saint dans le tableau du Louvre est particulièrement notable : non seulement c’est un corps massif, puissant, éloigné des représentations vandyckiennes qui suivront, qui nous est proposé, mais son attitude exprime l’éloignement, la distance. Le saint, déjà ailleurs, n’entend pas les moqueries de ses bourreaux : l’homme à la tunique rouge qui, narquois, brandit une poignée des flèches destinées au jeune homme – on reconnaît le Saint Jude Thaddée du musée messin13 (fig. 3-2) –, ou (à dextre) l’homme casqué qui s’amuse de ce que l’armure de Sébastien – dont les pièces étalées au pied de l’arbre forment une nature morte si libre qu’elle étonne, si tôt dans le siècle – ne lui servira de rien… Le détail, prosaïque, du chien venant renifler l’armure fait contraste avec la sombre méditation de l’homme. L’archer âgé, placé au premier plan (un choix étrange qui dit le caractère expérimental de notre tableau) étonne lui aussi : par le geste d’une infinie délicatesse avec lequel il saisit la main du saint pour la lier ; mais aussi par son type, car Van Dyck lui a donné les traits de certaines de ses têtes d’étude de vieillards – songeons à l’autre Van Dyck La Caze, le M.I. 916 (cat. 1). Ces études d’hommes mûrs étant remarquables, notamment, par le contraste qu’elles offrent entre lassitude et énergie condensée, il est singulier de voir un tel personnage au seuil de ce qui sera un déploiement de sauvagerie. Van Dyck réinvente ici le thème de saint Sébastien martyr : le titre Préparatifs du martyre ne doit pas tromper, car le peintre fait se rencontrer ici les derniers moments avant le supplice et le monde spirituel qui domine ce dernier, emportant le saint au-delà de l’horreur qui l’entoure et que Van Dyck a su rendre palpable.

    Esquisse peinte par Van Dyck ébauchant un cheval blanc, de face, monté par un soldat.
    Fig. 3-3 Antoon Van Dyck, Cavalier, vers 1615-1616 (?), huile sur toile, 89,5 × 52,5 cm, Oxford, Christ Church, JBS 246. Photo © By permission of the Governing Body of Christ Church, Oxford
    Monté sur un cheval blanc, un soldat en armure et coiffé d’un casque se penche sur sa droite. Ses yeux regardent vers la droite et il ouvre la bouche comme pour parler. La tête du cheval se tourne aussi dans la même direction. De larges aplats blancs rendent les reflets de lumière sur l’armure et le casque du cavalier qui, comme sa monture blanche, se détache nettement sur un fond neutre sombre.

    6cat3_p8Il existe un dessin, conservé à Oxford, qui sans doute garde la trace d’une étude originale préparatoire à la figure du bourreau penché sur le saint14. Horst Vey y voyait une copie. Le dessin s’intéresse surtout au corps, à la saillie des muscles ; le visage est schématisé à l’extrême : cela paraît cohérent avec le fait que Van Dyck choisit d’utiliser l’une de ses têtes d’étude de vieillards pour ce bourreau précisément. L’intérêt de cette feuille est d’attester l’existence d’études travaillées par Van Dyck en vue de son tableau. Le phénomène est corroboré par un autre exemple, cette fois-ci peint : une toile exécutée alla prima ou, si l’on préfère, restée au stade de la doodverf – c’est-à-dire la mise en place réalisée au pinceau, en tons monochromes. Cette esquisse magistrale figure le cavalier peint à senestre dans le tableau du Louvre (fig. 3-3). Il est rare de pouvoir trouver correspondance aussi correcte entre une œuvre préparatoire et une œuvre finie15.

    7cat3_p9Du point de vue de la composition, notre tableau est un exercice classique : le peintre tâche d’éviter l’isocéphalie de ses personnages. Van Dyck en a tiré une ronde tragique : tel bourreau se penche en avant sur sa droite, tel autre en arrière sur sa gauche, les soldats casqués se répondant, aux deux extrémités de la crête formée par la ligne des têtes. L’étouffement ressenti par le saint est rendu par l’entassement des personnages autour de lui. Le cavalier, qu’on imagine a priori comme une idée de dernier instant tant il s’insère au plus juste dans le cadre, est peut-être ainsi bien plus anticipé et pensé qu’on ne croie – tant l’idée de condensation narrative est au cœur de cette œuvre16.

    8cat3_p10Que la composition des Préparatifs du martyre de saint Sébastien ait été pesée, et prisée de Van Dyck lui-même, est confirmé par une découverte des années 1960. En effet, la radiographie du Saint Sébastien attaché pour son martyre (Édimbourg, National Galleries of Scotland) montra alors l’existence, sous ce dernier tableau, d’une version du tableau du Louvre17. Des éléments exacts de l’image parisienne se voient nettement. Le tableau écossais est datable vers 1620-1621 : environ cinq ans séparent ainsi la toile du Louvre de celle d’Édimbourg18. Dans ces conditions, les Préparatifs du martyre de saint Sébastien au Louvre donnent l’état de l’art de Van Dyck stricto sensu juste avant le choc italien.

    Peinture de Rubens représentant une jeune femme, sainte Catherine, entourée de personnages, dont son bourreau qui s'apprête à la frapper.
    Fig. 3-4 Pierre Paul Rubens, Le Martyre de sainte Catherine, vers 1615, huile sur toile, 390 × 249 cm, Lille, palais des Beaux-Arts, D 65-8. Photo © RMN-Grand Palais / Stéphane Maréchalle
    Une grande toile représente le martyre de sainte Catherine. Au centre, la jeune femme aux mains liées est agenouillée. Elle est habillée d’une robe pourpre sur une chemise verte et porte sur les épaules un voile presque transparent. Le bourreau, homme à demi-nu qui tient une épée dans la main droite, est représenté de dos, solidement campé sur ses jambes. Il porte sa main gauche sur la nuque de sainte Catherine et tourne la tête vers elle, prêt à la frapper. Trois femmes et une jeune fille entourent la sainte qui a aussi un petit chien à ses pieds. À gauche, un grand prêtre, paré de riches vêtements blancs, rouges, et or, indique à la sainte la statue d’Apollon. Des soldats derrière lui et un groupe de personnages à l’arrière-plan complètent la scène. Au premier plan, un mouton sacrifié, un bassin pour les sacrifices et un faisceau de licteur romain se trouvent au bas des marches. Dans la partie haute du tableau, un groupe d’anges descendent vers sainte Catherine pour lui tendre des couronnes, devant un temple antique à l’arrière-plan.

    9cat3_p11Le précipité d’hagiographie présent dans les Préparatifs, ainsi que le choix d’un moment original (juste avant le martyre) constituent la réponse de Van Dyck à un problème qui se posait à lui, avec acuité, au milieu des années 1610. Ce problème, c’étaient les retables rubéniens – les splendides et savants retables rubéniens. Ceux-ci, tels Le Martyre de sainte Catherine (fig. 3-4) ou encore Le Martyre de saint Étienne (Valenciennes, musée des Beaux-Arts, vers 1616-1617) déploient, dans une fidélité immaculée aux préceptes tridentins, un vocabulaire classique majestueux et figurent systématiquement l’intervention divine19. Dans ces peintures d’une foi militante et ardente, les profils des personnages sont placés, par Rubens, sur des plans étagés à la façon des camées antiques ; des théories d’anges, jaillissant d’un torrent de lumière, font pleuvoir sur les martyrs des couronnes, peuplant le tableau de la représentation du salut. Pour exister face à ces sublimes machines, Van Dyck eut à déconstruire leur logique : moins de personnages désormais, liés mais sans harmonie de groupe manifeste ; pas de belles et puissantes lignes invisibles courant entre les acteurs du drame biblique. De surcroît, revenant, mais pour l’ignorer, sur la leçon (chère à Rubens) de Jules Romain à Mantoue, au palais du Té, Van Dyck refuse les déferlements de corps vigoureux, athlétiques. Ses bourreaux mûrs et lents sont la réponse aux hommes, sortis de la palestre, que Rubens chargeait de mettre à mort ses héros chrétiens.

    10cat3_p12Quant à son saint Sébastien, sans beauté20, d’humeur âcre, bien plus pâle que les saints de Rubens, Van Dyck lui fait exprimer une émotion neuve, pour un martyre. Ce témoin de l’église primitive se tient loin des trépas éblouissants du martyrologe imaginé par Rubens (qu’accompagne toujours quelque chose de l’éclat d’un suicide antique, à la Caton), loin des tissus chamarrés dont ce dernier pare ses saints (voyez le maigre perizonium du personnage de Van Dyck). Saint Sébastien, au tableau du Louvre, oscille entre la solitude (un saint de Rubens n’est pas seul, il y a toujours le Ciel) et l’hostilité à son destin (un saint de Rubens est toujours dans l’acceptation de son sort). À cette date déjà, l’originalité de Van Dyck se définit en regard de celle de Rubens.

    Peinture de Rubens représentant un vieillard s'apprêtant à frapper d'un poignard un jeune homme nu agenouillé, Abraham et son fils Isaac.
    Fig. 3-5 Pierre Paul Rubens, Sacrifice d’Isaac, vers 1612-1613, huile sur panneau, 140,97 × 110,49 cm, Kansas City, Nelson Atkins Museum of Art, 66-3. Photo © Nelson Gallery Foundation
    La scène se déroule dans un paysage forestier. Au centre, Abraham, homme âgé à la longue barbe blanche et grise, vêtu de rouge, s’apprête à tuer son fils d’un coup de couteau, quand un ange survient en volant au-dessus de lui et arrête son bras droit qui tient l’arme. Stupéfait, il lève la tête vers l’ange et semble s’immobiliser. A droite, Isaac, jeune homme nu, couvert seulement d’un voile de pudeur, est agenouillé, le dos contre l’autel du sacrifice. À gauche, à demi caché derrière des buissons, se trouve le mouton qu’Abraham sacrifiera ensuite à la place de son fils.
    Dessin de Rubens représentant un jeune homme nu agenouillé, Isaac.
    Fig. 3-6 Pierre Paul Rubens, Étude préparatoire à la figure d’Isaac, vers 1612, craie noire et rehauts de blanc, 46,9 × 22,5 cm, Berlin, Staatliche Museen zu Berlin, Kupferstichkabinett, 4562. Photo © BPK, Berlin, dist. RMN-Grand Palais / Dietmar Katz
    Dans ce dessin, Isaac est figuré nu, il porte seulement un tissu à la taille. Il est agenouillé et incline la tête sur son épaule gauche. Le dessin fait ressortir ses muscles, surtout au niveau des épaules.

    11cat3_p13Une originalité qui n’exclut pas, selon un procédé traditionnel mais ici particulièrement lissé, l’emprunt. En effet, le saint Sébastien du M.I. 918 est, en premier lieu, une reprise d’un Isaac peint par Rubens dans un panneau, très michelangélesque, datable vers 1612-1613 (fig. 3-5). Or, il existe un dessin préparatoire à cet Isaac, à Berlin (fig. 3-6). Michael Jaffé le juge exécuté d’après nature, mais pas le Corpus Rubenianum Ludwig Burchard qui pointe des incohérences anatomiques et renvoie à une source antique probable21. Il est difficile, nous semble-t-il, de pouvoir être aussi tranché : la feuille montre un travail poussé du torse, alors que les jambes et la tête sont simplement mises en place – tête, quant à elle, individualisée. On songerait donc à une combinaison d’un tronc voulu quasi-herculéen par Rubens (« uit de geest »), mais avec une base sous-jacente « dal vero ». Les jeux de Van Dyck avec le modèle vivant poursuivent et aménagent ainsi la grande plasticité rubénienne22.

    12cat3_p14Cette adaptation d’un motif complexe de Rubens par Van Dyck, typique du fonctionnement de l’atelier, semble ne pas avoir été évoquée à l’occasion d’une discussion autour du modèle vivant à laquelle le tableau du musée a donné lieu. En effet, les Préparatifs du martyre de saint Sébastien, tableau de jeunesse de Van Dyck dans lequel s’expriment tant de maturité artistique, tant de goût pour l’exploration des procédés picturaux, sont parfois pris pour un exemple de travail identitaire caractéristique des enjeux de la première modernité. Dans cette optique, non seulement le saint bientôt garrotté est à l’image du modèle d’atelier dont la passivité est au cœur des rapports de force que va bientôt sanctionner le système des Académies, mais – puisque Van Dyck aurait donné son visage au saint – l’image publie littéralement la position audacieuse du peintre lui-même quant à ces relations de maître à modèle.

    13cat3_p15Évidemment, de tels développements supposent que les traits du saint, dans les Préparatifs (voire dans les tableaux de Munich23 et Édimbourg24), soient bien ceux de Van Dyck – et cela sans appel, sans quoi le raisonnement fait long feu. Or, tous les avis des historiens de l’art ne vont pas dans ce sens : Gustav Glück trouve que la comparaison physionomique « n’[est] pas convaincante ». Cela ne signifie pas que le spécialiste autrichien hésitait à franchir un Rubicon épistémologique ; cela signifie simplement que le saint, à ses yeux, n’a pas le visage de Van Dyck25. En ce qui nous concerne, nous voudrions rappeler que les saints Sébastien de Van Dyck, dont celui du Louvre, ne constituent pas une série homogène : la conception qui sous-tend les premiers est antagoniste à celle qui va finir par s’imposer avec les exemplaires exécutés en Italie. Mais, plus profondément, est-il réellement envisageable de confiner la nature d’objet religieux du tableau à un rôle périphérique26 ?

    14cat3_p16Dans la société à l’intérieur de laquelle Van Dyck était amené à créer – celle des Pays-Bas de la trêve de Douze Ans (1609-1621), régie par Albert de Habsbourg et son épouse, la propre fille de Philippe II, une société pour laquelle le phénomène de « la libre-pensée » et du libertinage (au sens de Gassendi ou Cyrano de Bergerac) est inconcevable27 –, on voudrait qu’un tableau montrant saint Sébastien soit d’abord le support de la représentation de jeux de pouvoir à l’intérieur de l’atelier ? ensuite celui de commentaires d’amateurs éclairés sur l’identité des modèles d’atelier28 ? Dans le cas d’un tableau religieux, dont le thème catholique est le sacrifice pour la foi, et de plus par un saint anti-pesteux, il semble surtout nécessaire de souligner le statut premier de cet objet, qui est d’être hagiographique. Et le produit d’une société traditionnelle.

    15cat3_p17En résumé, il nous semble que c’est précisément en termes de tradition artistique que le M.I. 918 peut être compris. Dans ce tableau, un jeune prodige flamand prend ses distances avec la figure dominatrice de Rubens. Reconfiguration de l’émotivité tridentine, restructuration pensée des relations spatiales entre personnages sur la toile, solitude du héros chrétien et absence de référence au salut : les Préparatifs du martyre de saint Sébastien s’éloignent de la sophistication rubénienne, il faut dire tout de même un rien rodée. Le recours à l’Isaac de Kansas City (fig. 3-5) n’infirme pas cette distanciation, mais fait comprendre qu’il s’agit d’une réélaboration à partir de Rubens.

    Peinture de Jacopo Palma le Jeune représentant une Vierge à l'Enfant entourée de deux hommes, saint Jean Baptiste et saint Sébastien.
    Fig. 3-7 Jacopo Palma le Jeune, Sainte conversation, vers 1580, huile sur toile, 92 × 152 cm, Dijon, musée des Beaux-Arts, CA T 3. Photo © Dijon, musée des Beaux-Arts / François Jay
    Sur un fond bleu de ciel parcouru de quelques nuages, la Vierge, vêtue de rouge et bleu, est assise entre saint Jean-Baptiste à gauche et saint Sébastien à droite. Elle tient dans ses bras le Christ enfant, qui est représenté nu, le visage et les bras tournés vers saint Sébastien. Ce saint incline sa tête vers celle de l’enfant, il est nu, à l’exception d’un linge blanc autour des hanches, a le torse percé de trois flèches, et le poignet gauche qu’il élève au-dessus de sa tête est lié par une corde attachée à un arbre à l’arrière-plan. La Vierge tourne sa tête, recouverte en partie d’un voile blanc, vers saint Jean-Baptiste, qui est plus âgé que saint Sébastien. Il porte une barbe brune et est drapé dans une étoffe verte, il tient de la main droite une croix faite de branchages et porte la main gauche à sa poitrine.
    Gravure d'après Jacopo Palma le Jeune montrant un jeune homme, saint Sébastien, que deux hommes attachent à un arbre.
    Fig. 3-8 Aegidius Sadeler le Jeune d’après Jacopo Palma le Jeune, Saint Sébastien attaché à un arbre, vers 1595 (?), burin, 44 × 30,8 cm, Amsterdam, Rijksmuseum, RP-P-OB-5144. Photo CC0 Rijksmuseum, Amsterdam
    Au centre de cette gravure, saint Sébastien est représenté en train d’être attaché à un arbre par deux personnages accroupis qui lui lient les jambes. Le saint se débat dans un mouvement de torsion de tout son corps et lève ses regards vers le ciel. Il est nu à l’exception d’une draperie de pudeur et sa tête est entourée d’une auréole lumineuse. À ses pieds, un arc et un carquois rempli de flèches sont les armes destinées à le tuer. En haut, dans le ciel, un petit ange apparaît entre les nuages pour lui tendre la couronne et la palme des martyrs. À l’arrière-plan, à gauche, un soldat monté sur un cheval et des archers semblent venir pour exécuter le saint. À droite, une femme et un homme assis, ainsi que trois hommes debout semblent discuter avec animation, sur un fond boisé.

    16cat3_p18Classiquement – un peu comme les Carrache –, pour échapper à son ambiente, Van Dyck se tourne vers une référence d’une génération précédente, célèbre pour son traitement du sujet en question. Le saint Sébastien du Louvre, en plus de répondre à Rubens, dialogue ainsi avec l’un des plus prolixes et doués Vénitiens tardifs : Jacopo Palma le Jeune. Voyez, par exemple, la Sainte conversation du musée de Dijon (fig. 3-7) ou, mieux, la gravure d’Aegidius Sadeler le Jeune d’après une peinture de Palma (fig. 3-8). Cette dernière estampe, parfois évoquée dans la littérature sur les saints Sébastien vandyckiens, mais rapidement, dut jouer un rôle clé dans l’élaboration du M.I. 91829. Elle illustre, en particulier, les gestes étrangement précautionneux des bourreaux au moment de lier le corps du jeune martyr. Van Dyck puise à cette source mais, délaissant la beauté sinueuse du maniérisme tardif, recourt à l’esthétique du modèle vivant.

    17cat3_p19La comparaison avec la magnifique planche de Sadeler d’après Palma fait éclater l’innovation picturale de Van Dyck dans les Préparatifs du martyre de saint Sébastien. La vérité de son saint sans auréole comme de ses bourreaux sans beauté apparaît dans sa nouveauté. C’est cette esthétique du modèle vivant en tant que telle, dans son opposition à la vision de la dernière Renaissance incarnée par un Palma le Jeune, qu’auraient eu plaisir à commenter, nous semble-t-il, les collectionneurs anversois.

    Peinture de Rubens montrant un jeune homme nu, sans vie, allongé à terre, Adonis, entouré de Vénus, trois nymphes et un petit Cupidon.
    Fig. 3-9 Pierre Paul Rubens, Vénus pleure Adonis, vers 1614, huile sur toile, 213 × 325 cm, Jérusalem, musée d’Israël, B00.0735. Photo © The Israel Museum, Jerusalem / Elie Posner
    Le corps sans vie d’Adonis git au centre du tableau. Un linge ensanglanté et une lance sous sa jambe indiquent une mort violente. À gauche, Vénus accroupie se penche vers lui et tient la tête du jeune homme entre ses mains. La déesse est représentée nue, comme tous les personnages du tableau. Elle porte seulement un bracelet au bras droit. Derrière le corps du jeune homme, trois nymphes se lamentent, ainsi que le petit dieu Cupidon. À droite, un chien regarde la scène tandis qu’un autre flaire le sang répandu sur le sol. À l’arrière-plan, une ample frondaison sombre fait ressortir la blancheur des corps, et un paysage de collines boisées se distingue dans le lointain.

    18cat3_p20Dans le tableau de la donation La Caze, Van Dyck a poussé certains passages (les deux bourreaux à senestre, la tête du cheval) jusqu’à en faire des morceaux de peinture rivalisant avec la fougue de Rubens. D’autres, a contrario, sont si légèrement travaillés – en réalité le maître a levé la main à peine avait-il commencé de les peindre – qu’on ne sait si ce ne sont ceux-là qui sont les plus novateurs. En effet, l’effet de non finito n’est jamais gratuit : le soldat railleur à dextre émerge à peine de l’ombre, et ses traits imprécis en sont déformés. Sa main gauche posée sur l’armure, devenue inutile, de Sébastien, n’est presque définie que par les coups de pinceau de la première mise en place. Le sotto voce côtoie ainsi, sur la toile, la stridence. À mi-chemin de ces extrêmes, le visage du saint lui-même suffirait à faire basculer le M.I. 918 dans l’expérimentation : menton verdâtre dont la matière ne se distingue plus de celle de la lèvre inférieure (peau exsangue, irréelle, qu’on retrouve sur les paupières ou au plissement des sourcils), lumières sur le front maçonnées comme au couteau, sourcils et cheveux de jais d’une fluidité qui confine au diaphane (presque pas de matière, les usures ont encore accentué l’impression). On est loin du visage à peine bleui de l’Adonis de Rubens (avec son corps parfait), pourtant déjà dans la mort – une peinture datable vers 1614 que Van Dyck a dû connaître (fig. 3-9). Le résultat de ces jeux d’épaisseur et de ces variations déconcertantes dans la mise en œuvre est un tableau d’une variété inédite dans les modulations de la puissance narrative. L’esthétique du modèle d’atelier, au moment même auquel elle se déploie, favorise ainsi le goût pour un métier qui se montre crûment. Plus que contre Rubens : au-delà de Rubens.

    19cat3_p21La collection Lugt (Paris, fondation Custodia) possède un dessin à la pierre noire, avec une annotation au verso : « Étude pour le saint Sébastien collon Lacaze [sic]30. »

    1. Dossier C2RMF : F5667 ; dossier de restauration : P294.

    2. Díaz Padrón, 2007 Matías Díaz Padrón, « Van Dyck. El Martirio de San Sebastián de El Escorial localizado en la galería Hall & Knight de Nueva York », Goya, nº 316-317, Madrid, janvier-avril 2007, p. 45-50. , p. 46.

    3. Lugt, Répertoire Frits Lugt, Répertoire des catalogues de ventes publiques intéressant l’art ou la curiosité, La Haye, 1938-1964 (vol. I-III) ; Paris, 1987 (vol. IV). Voir aussi l’édition du répertoire en ligne. , nº 18180. Voir Reiset, 1870 Frédéric Reiset, Notice des tableaux légués au Musée impérial du Louvre par M. Louis La Caze, Paris, 1870. , nº 57.

    4. La Caze, 1869 État des tableaux de la collection La Caze, manuscrit de M. La Caze à M. de Maussion, archives des Musées nationaux, 1869. , nº 242.

    5. Eaker, 2015 Adam Eaker, « Van Dyck between Master and Model », The Art Bulletin, vol. 97, nº 2, New York, juin 2015, p. 173-191. , p. 173, rappelle les précédents immédiats à l’intérêt de Van Dyck pour le thème du martyre de Sébastien : une gravure d’Aegidius Sadeler d’après Palma le Jeune, un tableau de Wenceslas Cobergher à la cathédrale d’Anvers (disparu). Selon Martin, 1981 John Rupert Martin, « Van Dyck’s Early Paintings of St Sebastian », in Moshe Barasch et Lucy Freeman Sandler (dir.), Art, the Ape of Nature. Studies in Honor of H. W. Janson, New York, 1981, p. 303-400. , p. 399, et note 15, p. 400, ce dernier tableau est en France : il s’agit des Apprêts du martyre de saint Sébastien au musée des Beaux-Arts de Nancy (toile, 288 × 207 cm, 92). À dire vrai, l’iconographie de saint Sébastien n’est pas aussi rare que semble le dire cet auteur : saint anti-pesteux, Sébastien fut souvent représenté et invoqué au Moyen Âge. Les objets créés par les imagiers médiévaux étaient bien présents dans l’univers visuel des contemporains de Van Dyck (tous ne furent pas détruits par l’iconoclasme de 1566).

    6. Plume et encre brune, 23,8 × 16 cm, D. 28 (Vey, 1962 Horst Vey, Die Zeichnungen Anton van Dycks (Monographien des « Nationaal Centrum voor de Plastische Kunsten van xvide en xviide Eeuw »), Bruxelles, 1962, 2 vol. (le premier consacré aux textes et notices, le second aux illustrations). , nº 89 verso).

    7. Barnes et al., 2004 Susan J. Barnes, Nora De Poorter, Oliver Millar et Horst Vey, Van Dyck. A Complete Catalogue of the Paintings, Londres et New Haven, 2004. , I. 46.

    8. Voir Glück, 1931 Gustav Glück, Van Dyck. Des Meisters Gemälde in 571 Abbildungen, Berlin et Stuttgart, coll. « Klassiker der Kunst », 1931. , p. 517-518, qui évoque la grande proximité stylistique avec le Saint Pierre crucifié des Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, à Bruxelles (toile, 202 × 115 cm, 215, voir Barnes et al., 2004 Susan J. Barnes, Nora De Poorter, Oliver Millar et Horst Vey, Van Dyck. A Complete Catalogue of the Paintings, Londres et New Haven, 2004. , I. 43) : ce dernier tableau est datable vers 1617-1621.

    9. C’est le 11 février 1618 que Van Dyck est inscrit comme maître auprès de la guilde de Saint-Luc, à Anvers. Le degré d’autonomie de Van Dyck au Dom Van Ceulen est l’objet de disputes picrocholines, certains allant jusqu’à suggérer que cet atelier n’était qu’une dépendance de celui de Rubens. Eaker, 2015 Adam Eaker, « Van Dyck between Master and Model », The Art Bulletin, vol. 97, nº 2, New York, juin 2015, p. 173-191. , notamment p. 175, donne un aperçu de cette question.

    10. C’est alors que Van Dyck crée des figures d’apôtres peut-être un peu vite rangées sous la dénomination d’« apostolado » (soit une série des Douze), alors qu’il s’agit sans doute plutôt de têtes ou bustes génialement indéterminés, sans identité autre que de pouvoir devenir, qui un apôtre, qui un personnage dans un tableau d’histoire. Glück, 1925-1926 Gustav Glück, « Van Dycks Anfänge. Der Heilige Sebastian im Louvre zu Paris », Zeitschrift für bildende Kunst, vol. 59, Leipzig, 1925-1926, p. 257-264. , p. 257, a un beau développement sur la déconcertante variété de la création du jeune Van Dyck.

    11. Toile, 194 × 142 cm, San Lorenzo de El Escorial (Barnes et al., 2004 Susan J. Barnes, Nora De Poorter, Oliver Millar et Horst Vey, Van Dyck. A Complete Catalogue of the Paintings, Londres et New Haven, 2004. , II. 17).

    12. Les bourreaux aussi, comme on verra.

    13. Larsen, 1988 Erik Larsen, The Paintings of Anthony Van Dyck, Lingen, 1988, 2 vol. , vol. II, nº 174, p. 81. Le modèle apparaît encore dans Le Saint Jude Thaddée du musée Boijmans Van Beuningen, à Rotterdam (vers 1618-1620, panneau, 63,5 × 48,3 cm, 2434 – tableau non mentionné dans Barnes et al., 2004 Susan J. Barnes, Nora De Poorter, Oliver Millar et Horst Vey, Van Dyck. A Complete Catalogue of the Paintings, Londres et New Haven, 2004. ), dans Le Christ et les pécheurs repentants du musée de Bucarest, agenouillé (toile, 128 × 170,3 cm, Cat. 68), ou dans La Pentecôte à Potsdam (Bildergalerie am Schloss Sanssouci, toile, 265 × 220,5 cm, GK 10623), cette fois-ci comme apôtre du Christ. Le thème de l’homme brandissant ou serrant contre lui un faisceau de flèches se voit encore dans un panneau à Bayonne, un Homme avec arc et flèches (musée Bonnat-Helleu, 65 × 49 cm, LB 992).

    14. Oxford, Ashmolean Museum, Un homme penché vers l’avant, craie noire avec rehauts de craie blanche, sur papier (ayant viré ?) de couleur lilas-brun, 37,5 × 26,5 cm, sans numéro (Vey, 1962 Horst Vey, Die Zeichnungen Anton van Dycks (Monographien des « Nationaal Centrum voor de Plastische Kunsten van xvide en xviide Eeuw »), Bruxelles, 1962, 2 vol. (le premier consacré aux textes et notices, le second aux illustrations). , nº 15, p. 87).

    15. Byam Shaw, 1967 James Byam Shaw, Paintings by Old Masters at Christ Church, Oxford, Londres, 1967. , nº 246, p. 126. Une réplique de mêmes dimensions est signalée en collection privée (sir Evelyn de La Rue, The Sol, Cookham-on-Thames) par Hulst et Vey, 1960 Roger Adolf d’Hulst et Horst Vey, Antoon Van Dyck. Tekeningen en olieverfschetsen (catalogue d’exposition, Anvers, Rubenshuis, 1960 ; Rotterdam, Museum Boijmans van Beuningen, 1960), Anvers, 1960. , nº 123, p. 155. Gustav Glück insiste sur la correspondance entre le tableau La Caze et celui d’Oxford (Glück, 1937 Gustav Glück, « Van Dyck’s Equestrian Portraits of Charles I », The Burlington Magazine for Connoisseurs, vol. 70, nº 410, Londres, mai 1937, p. 211-217. , p. 211). Il n’est guère nécessaire d’évoquer ici le Portrait équestre du duc de Lerma, par Rubens (1603), autrement que comme l’une des sources d’inspiration possibles pour Van Dyck. L’élève aura entendu parler de ce chef-d’œuvre, peint par Rubens à l’âge de vingt-six ans, et de sa vue frontale d’un cavalier.

    16. Dans Le Martyre de saint Sébastien de l’Alte Pinakothek, à Munich (toile, 199,9 × 150,6 cm, 607, voir Barnes et al., 2004 Susan J. Barnes, Nora De Poorter, Oliver Millar et Horst Vey, Van Dyck. A Complete Catalogue of the Paintings, Londres et New Haven, 2004. , II. 18), le cavalier s’insère plus fortement dans l’assemblée des personnages, occupant davantage d’espace. Van Dyck, dans ce tableau peint vers 1621-1622, se souvient de son premier grand essai sur ce thème. Il aura aussi vu, en la cathédrale Notre-Dame d’Anvers, le retable peint par Quentin Metsys pour la corporation des menuisiers, avec sur le panneau central une Déploration sur le corps du Christ (Koninklijk Museum voor Schone Kunsten Antwerpen, 245-249). Sur le volet intérieur senestre se voit un « saint Jean dans l’huile » : des bourreaux, dont des cavaliers, entourent le saint martyr, figuré nu, ceint d’un simple linge blanc à la taille. Voir Fabri et Van Hout, 2009 Ria Fabri et Nico Van Hout (dir.), De Quinten Metsijs à Peter Paul Rubens. Chefs-d’œuvre du Musée royal réunis dans la cathédrale (catalogue d’exposition, Anvers, cathédrale Notre-Dame, 2009), Anvers 2009. , p. 76-85, qui signale que le tableau était visible en la chapelle du Magistrat depuis 1590.

    17. Toile, 230 × 163,3 cm, NG 121 (Barnes et al., 2004 Susan J. Barnes, Nora De Poorter, Oliver Millar et Horst Vey, Van Dyck. A Complete Catalogue of the Paintings, Londres et New Haven, 2004. , I. 47, et Brigstocke et Thompson, 1978 Hugh Brigstocke et Colin Thompson, National Gallery of Scotland. Shorter Catalogue, Édimbourg, 1978. , p. 31). Le radiogramme (partiel) du tableau écossais est publié dans Thompson, 1961 Colin Thompson, « X-Rays of a Van Dyck “St Sebastian” », The Burlington Magazine, vol. 103, nº 700, Londres, juillet 1961, p. 318-320. .

    18. Colin Thompson, qui travailla sur la radiographie de la toile écossaise, suggère que le changement radical d’idée eut lieu au contact de l’Italie, en l’occurrence avec Titien. Si l’on suit ce raisonnement, cela signifie que Van Dyck apporta avec lui, depuis Anvers, la toile peinte (celle du musée écossais) et la transforma après son arrivée dans la péninsule. Une idée séduisante, mais à écarter en fin de compte : on s’accorde aujourd’hui à voir dans le tableau d’Édimbourg une œuvre faite encore à Anvers (Barnes et al., 2004 Susan J. Barnes, Nora De Poorter, Oliver Millar et Horst Vey, Van Dyck. A Complete Catalogue of the Paintings, Londres et New Haven, 2004. , I. 47). Nota : Christopher Brown a pu suggérer que l’idée de son saint Sébastien était venue à Van Dyck par celui de Titien (dont il y avait une version dans la collection Arundel). Selon nous, cela reste hypothétique et n’expliquerait pas le développement des saints Sébastien du jeune Flamand depuis le milieu des années 1610. Voir Hedley, 1999 Jo Hedley, Van Dyck at the Wallace Collection (catalogue d’exposition, Londres, Wallace Collection, 1999), Londres, 1999. , nº 4, note 2, p. 98.

    19. Rester à l’intérieur de l’opus de Van Dyck ne permet pas, semble-t-il, de restituer tous les enjeux de notre tableau. Ainsi, lorsque Roy, 1977 Alain Roy (dir.), Le xviie siècle flamand au Louvre. Histoire des collections, Paris, coll. « Les dossiers du département des Peintures, 14 », 1977. , nº 159, p. 41, affirme que le tableau La Caze est une « esquisse peinte vers 1615, peut-être pour le grand tableau de la National Gallery [sic] d’Édimbourg », cela suppose un délai d’exécution (ou d’attente) fort long et, s’agissant d’un grand format, fausse assez la notion d’esquisse. Le tableau La Caze ne se définit pas, d’abord, par sa relation avec d’autres martyres peints par Van Dyck plusieurs années après, mais plutôt par son rapport avec les retables rubéniens exactement contemporains.

    20. Eaker, 2015 Adam Eaker, « Van Dyck between Master and Model », The Art Bulletin, vol. 97, nº 2, New York, juin 2015, p. 173-191. , p. 180, insiste sur le fait que l’intérêt profond des premiers saints Sébastien de Van Dyck réside dans la beauté de leur pose, dans le fait de placer un beau corps suivant une belle pose (« putting a beautiful body into a beautiful pose »). Cette analyse, nous semble-t-il, peut être discutée, au moins pour le M.I. 918 : en effet, quelle est la beauté d’un corps qui se refuse au contrapposto et déjà s’affaisse ? dont la pâleur contrevient aux us du temps selon lesquels le corps masculin peint est toujours d’une couleur plus chaude que le corps féminin peint (à moins qu’il ne s’agisse de brouiller les genres, mais l’œuvre perdrait en clarté) ? dont le visage, enfin, est renfrogné ? Eaker, 2015 Adam Eaker, « Van Dyck between Master and Model », The Art Bulletin, vol. 97, nº 2, New York, juin 2015, p. 173-191. traite les saints Sébastien de jeunesse d’un trait, comme un lot homogène (« Van Dyck’s Sebastian series », p. 180 – mais est-ce vraiment une série ?), alors que Thompson, 1961 Colin Thompson, « X-Rays of a Van Dyck “St Sebastian” », The Burlington Magazine, vol. 103, nº 700, Londres, juillet 1961, p. 318-320. , montrait bien la rupture intervenue entre une première conception (rude et puissante, avant l’Italie) et une seconde (élégante, en résonance avec les beautés de la culture italienne de la Renaissance).

    21. Jaffé, 1989 Michael Jaffé, Rubens. Catalogo completo, Milan, 1989. , nº 140, p. 174-175 ; Hulst et Vandenven, 1989 Roger Adolf d’Hulst et Marc Vandenven, « Rubens. The Old Testament », Corpus Rubenianum Ludwig Burchard, vol. III, Londres et New York, 1989. , nº 12a, p. 61-62. De manière intéressante, ces publications parurent la même année.

    22. À côté des emprunts, on peut imaginer de rechercher des rejets, des œuvres contre lesquelles Van Dyck aurait voulu prendre position. Le thème des Dix mille crucifiés du mont Ararat, en particulier, a pu jouer comme repoussoir : une foule compacte de corps crucifiés ou sur le point de l’être… Cette légende met en scène, comme celle de Sébastien, des soldats convertis au christianisme, mis à mort par les Romains. Vittore Carpaccio (Venise, Gallerie dell’Accademia, 89) ou Albrecht Dürer (Vienne, Kunsthistorisches Museum, Gemäldegalerie, 835) avaient illustré ce sujet tragique.

    23. Voir note 16 supra.

    24. Voir note 17 supra.

    25. Eaker, 2015 Adam Eaker, « Van Dyck between Master and Model », The Art Bulletin, vol. 97, nº 2, New York, juin 2015, p. 173-191. , p. 181, et note 67, p. 190, classe ainsi Gustav Glück parmi ceux qui n’auraient pas osé reconnaître ce qui perce les yeux. En vérité, de nombreux tableaux de Van Dyck ont été dits comporter des autoportraits (en somme, ils seraient des « autoportraits historiés ») – par exemple, le Pâris de la Wallace Collection, à Londres (vers 1628, toile, 140 × 122 cm, 85, voir Barnes et al., 2004 Susan J. Barnes, Nora De Poorter, Oliver Millar et Horst Vey, Van Dyck. A Complete Catalogue of the Paintings, Londres et New Haven, 2004. , III. 55).

    26. C’est ce que semble faire Eaker, 2015 Adam Eaker, « Van Dyck between Master and Model », The Art Bulletin, vol. 97, nº 2, New York, juin 2015, p. 173-191. , p. 181-182, qui souligne que de telles œuvres se retrouvent dans des collections privées, à usage de collectionneurs particuliers et de leurs amis amateurs d’art.

    27. Le libertinage du xviie siècle (Sorel, Cyrano, Gassendi mais aussi, suivant une acception large, Hobbes, Bayle…) est intellectuel. Il ne faut pas le confondre avec celui du xviiie siècle.

    28. Eaker, 2015 Adam Eaker, « Van Dyck between Master and Model », The Art Bulletin, vol. 97, nº 2, New York, juin 2015, p. 173-191. , p. 182, cite, comme exemples sur lesquels s’exerce la sagacité d’amateurs s’amusant à deviner les identités des modèles de peintures : une « blanchisseuse de Rubens » ayant posé pour une tête d’étude, une « figure riante de l’apprenti chargé d’écraser les pigments chez Rubens, pour une tronie peinte par Van Dyck » (nota : traduction libre). Une tête d’étude est-elle de même registre qu’un grand tableau hagiographique comme le M.I. 918 ?

    29. Voir note 1, supra.

    30. Dessin à la pierre noire, I. 2509. Autre feuille prétendant au statut d’étude en vue du M.I. 918 : le dessin passé en vente à Paris, en 1905, comme « Étude pour le saint Sébastien de la collection Lacaze [sic] » (53 × 41 cm) : vente « succession de Mme E. Warneck », Paris, Drouot, 10-11 mai 1905, lot 146.